Earl Grey sans sucre

Claire, quitte son Auvergne natale et monte à Paris pour étudier à la Sorbonne. Élève brillante, une mention très bien au bac, elle vient étudier les Lettres Classiques. De cours à l'amphi, en ballades dans les rues, en boulot d'été, nous la suivons dans trois étapes de son initiation citadine.

Son quotidien est fait d'émerveillements suscités par la vie dans une grande ville, de rencontres avec une galerie pittoresque d'étudiants, de voisins ou de passants, de retours réguliers mais de plus en plus espacés dans la ferme familiale. Trois étapes qui vont donner un sens a sa vie et marquer à tout jamais un éloignement de ses racines.Les études terminées, elle repart pour de longues vacances à la ferme familiale....

On fait alors un bond dans le temps. Et quinze ans plus tard, son père vient lui rendre visite. Elle est maintenant devenue professeure dans un établissement scolaire parisien. Elle a maintenant quarante ans, toujours célibataire. Elle a trouvé sa vie, dans ce petit appartement aux portes de Paris. Lui est maintenant à la retraite. Lui qui ne comprend pas cette vie. Lui perdu dans cet environnement. Lui qui se sent décalé dans cette frénésie.

Deux histoires, deux lieux, deux manières d'appréhender la vie. Et qui demeureront résolument distincts. Qui coexistent. Qui se tolèrent. Mais ne savent pas comment communiquer.

Dans son livre "Les pays", Marie-Hélène Lafon dépeint à la manière  d'une anthropologue précise et détachée, l'histoire singulière de cette femme coincée entre deux mondes.Tous les opposent. Et en plus ils semblent s'ignorer. 

Ce livre est comme une tasse de thé : sobre, délicat et simple au premier regard. Le récit avance lentement au gré des saisons, des rencontres et des étapes de la vie d'une étudiante.
Puis l'arôme se déploie et le parfum apparaît : subtil et doux. L'héroïne vit sa transformation avec douceur, élégance, sans volonté appuyée. Elle semble avancer dans la vie sur la pointe des pieds. On est loin d'une Bridget J. larmoyante, d'une Pretty Woman méritante ou d'un Rastignac exalté. La transformation a l'air de s'opérer lentement, sans à-coups. Aucun dialogue cependant. Un récit purement contemplatif. Les sentiments sont simplement suggérés.
Et c'est une fois en bouche que le goût se révèle : fort, sophistiqué, distinctif. Le style est très recherché mais sans fioritures inutiles. Recherche dans les mots: précis, sonores, esthétiques. Recherche dans le rythme : phrases gigognes, amples et ciselées dans lesquelles Marie-Hélène Lafon s'amuse avec la ponctuation, les tournures et les formulations. Elle a dû passer des heures à peser chaque mot, essayer des structures, choisir ses adjectifs. Tricotant et détricotant son ouvrage.  

Une fois le livre reposé, une sensation demeure : l'apaisement. On sort de cette lecture différent comme Claire, l'héroïne. Comme si ce récit avait touché les profondeurs oubliées de nos propres racines et apaisé certaines douleurs.

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